Neurodiversité et bien-être au travail

On estime que la neurodivergence touche une personne sur cinq. Pour des lieux de travail plus sûrs et plus inclusifs, intégrer la neurodiversité dans la gestion du bien-être au travail est donc essentiel.
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Mis en ligne le 15.07.2025 par la rédaction, prevent.be

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Neurodiversité et neurodivergence

Neurodiversité

La sociologue australienne Judy Singer a créé le terme neurodiversité par parallélisme avec le concept de biodiversité. La neurodiversité est la reconnaissance du fait que le cerveau peut fonctionner de différentes manières, et que ces différences ne sont que des variations naturelles du cerveau humain. Le concept préconise de souligner les éléments positifs de ces différents fonctionnements (et non les déficits ou les écarts par rapport à une norme établie), reflétant ainsi le principe selon lequel toutes ces variations naturelles des fonctions et des capacités cognitives devraient être reconnues et respectées.

La neurodiversité concerne à la fois les neurodivergents (dont le comportement ‘diverge’ du comportement typique) et leur opposé, les neurotypiques (comportement caractérisé par un fonctionnement neurologique courant).

Neurodivergence

La neurodivergence ("neurologiquement divergent du comportement typique") fait référence aux personnes ayant un fonctionnement neurologique différent de celui que les normes sociales dominantes considèrent comme la "normalité". Le terme neurodivergence a été créé par l’américaine Kassiane Asasumasu, elle-même autiste, qui souhaitait un terme incluant un large éventail de personnes (et pas seulement les personnes atteintes de troubles neurodéveloppementaux). 

La neurodivergence peut être d'origine génétique, résulter d'une altération du cerveau ou d'une combinaison des deux. Elle couvre une large variété de troubles neurologiques: autisme, dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), syndrome de Gilles de la Tourette,...

Le fait que le fonctionnement de leur cerveau soit différent signifie aussi que ces personnes ont des points forts et des points faibles qui ne correspondent pas à ceux des personnes neurotypiques. 

Neurodivergence au travail 

Le fait qu’une personne sur cinq soit neurodivergente ne se reflète pas sur le lieu de travail. Les personnes neurodivergentes ont beaucoup moins de chances de trouver du travail que leurs homologues neurotypiques. Cette situation découle en grande partie des difficultés qu'elles rencontrent sur le lieu travail.

Difficultés 

Les caractéristiques communes aux personnes neurodivergentes, telles que l'altération des capacités de communication interpersonnelle, l'anxiété face au changement, les difficultés de gestion du temps et d'établissement des priorités, peuvent rendre l’intégration difficile. Les travailleurs neurodivergents éprouvent aussi de grandes difficultés à gérer tout ce qui peut distraire la concentration sur le lieu de travail (bruit, éclairage violent, interruptions,…). 

En outre, les personnes neurodivergentes qui révèlent leur état au travail sont souvent victimes de stéréotypes négatifs et de stigmatisation souffrent souvent de discrimination, ce qui limite leur accès à l'égalité des chances en matière de recrutement, d'avancement de carrière et de développement professionnel. 
Une enquête menée auprès de 790 travailleurs neurodivergents au Royaume-Uni a révélé qu'un cinquième d'entre eux avait été victime de harcèlement ou de discrimination au travail en raison de leur neurodivergence.

Atouts

Du fait de leur rapport ‘atypique’ au monde, les travailleurs neurodivergents peuvent être de grandes sources de créativité et d’innovation pour les entreprises: en portant un regard différent sur une problématique, ils sont capables d’amener les équipes à penser autrement, à élargir leur point de vue, à penser ‘out of the box’ et à découvrir de nouvelles approches de résolution de problèmes. 

Ces points forts contribuent à une pensée diversifiée qui favorise des solutions innovantes bénéfiques à l'ensemble de l'équipe. Par exemple, la capacité de certaines personnes neurodivergentes à se concentrer intensément sur des tâches peut conduire à des gains de productivité significatifs (p.ex. dans cette entreprise, corriger les tableaux comptables extrêmement compliqués était un vrai casse-tête sauf pour le travailleur autiste qui repérait aisément toutes les erreurs).

Par ailleurs, le fait d’accueillir ces personnes souligne souvent des dysfonctionnements organisationnels (p.ex. liés au manque d’ordre ou de logique). La résolution des problèmes identifiés peut déboucher sur des améliorations de processus, l’élaboration d’une méthodologie plus précise,... ce qui peut bénéficier à l’ensemble des collaborateurs et même faciliter l’accueil des nouveaux travailleurs.

Enfin, accepter la vulnérabilité de ses travailleurs pousse aussi l’entreprise à renforcer ses qualités humaines (empathie, bienveillance, écoute, cohésion, etc.).  

Défis en matière de bien-être au travail

Du point de vue de la sécurité et de la santé au travail (SST), les travailleurs neurodivergents sont confrontés à des problèmes spécifiques souvent ignorés:

  • Comprendre les procédures de SST 
    difficultés à comprendre les procédures et les politiques de SST, en particulier si elles ne sont pas présentées de manière claire et accessible.
     
  • Distractibilité
    Le TDAH, par exemple, peut affecter la capacité du travailleur à se concentrer sur la tâche à accomplir et sur l'environnement de travail. Ces travailleurs, plus facilement distraits, peuvent aisément se déconcentrer, ce qui peut dans certains cas déboucher sur des accidents et des blessures. Les recherches montrent que, tout au long de leur vie d'adulte, les adultes souffrant de TDAH courent un risque nettement plus élevé d'accidents et de blessures que les adultes qui n’en souffrent pas.
     
  • Surcharge sensorielle 
    Le bruit excessif, les lumières vives ou les odeurs fortes dans certains environnements de travail peuvent provoquer une surcharge sensorielle chez les travailleurs neurodivergents, ce qui entraîne une augmentation du stress, des difficultés à se concentrer sur les tâches et même davantage de conflits. La surcharge sensorielle peut également affecter leur capacité à suivre les protocoles de SST ou les empêcher de remarquer les dangers qui les entourent. En outre, travailler dans un bureau paysager peut constituer un véritable obstacle pour les personnes neurodivergentes. 
     
  • Mauvaise interprétation des signaux de sécurité/désorientation 
    Certains travailleurs neurodivergents peuvent éprouver des difficultés à interpréter les signaux de sécurité (alarmes, signalisation,...) en raison de problèmes de communication ou de traitement sensoriel. En cas d'urgence, ils peuvent se sentir dépassés ou désorientés. Les exercices d'évacuation, les tests d'alarme, etc. peuvent dès lors être une source de stress importante. 
     
  • Coordination physique et motricité 
    Les tâches nécessitant des mouvements précis ou de la dextérité peuvent poser des problèmes aux travailleurs neurodivergents souffrant de troubles de la motricité ou de la coordination de mouvements (p.ex. TDC : trouble développemental de la coordination). Ceci peut dès lors affecter leur capacité à faire fonctionner des équipements en sécurité, à manipuler des matières dangereuses,...
     
  • Adaptation au changement 
    Certains travailleurs neurodivergents éprouvent des difficultés à gérer les changements dans l'environnement de travail, les processus de travail ou l'équipement (les autistes, par exemple, ont besoin d’une structure fixe et bien définie). 
     
  • Impulsivité 
    Lorsqu’une tâche semble urgente ou importante, les travailleurs neurodivergents peuvent stresser et prendre des décisions impulsives et imprudentes qui les mettent en danger. 
     
  • Stress et épuisement professionnel 
    Les travailleurs autistes, en particulier, se perçoivent souvent comme très stressés, ont une faible résistance aux facteurs de stress et éprouvent des difficultés à faire face aux situations stressantes.

Environnement de travail inclusif

Créer un environnement inclusif a une portée plus large que la création d’un environnement favorable à la diversité: l'inclusion vise l'élimination des obstacles qui empêchent la mise en place d'un environnement qui favorise la pleine participation et la contribution de tous les travailleurs. La création d'un environnement de travail inclusif nécessite dès lors une approche globale (mise en œuvre des politiques, analyses de risques inclusives, organisation de formations, adaptations du travail aux besoins de chaque travailleur).

Dans un environnement de travail inclusif, les travailleurs sont acceptés et valorisés pour leur diversité, ont accès à l'information et aux ressources, participent aux processus formels et informels et sont impliqués dans la prise de décision. Ceci favorise le sentiment d'appartenance à l’organisation et souligne le fait que leur singularité est hautement appréciée. 

Analyse des risques inclusive

La loi sur le bien-être au travail et le code du bien-être au travail soulignent 

  • la nécessité d'adapter le travail à l'individu 
  • l'obligation pour l'employeur de procéder à une analyse des risques (y compris pour les groupes de travailleurs exposés à des risques particuliers)
  • le fait qu’il faut protéger les groupes vulnérables contre les dangers qui les affectent spécifiquement. 

L'analyse des risques inclusive prend en compte les besoins des travailleurs susceptibles d'être exposés à un risque accru lors de l'exécution d'une tâche en raison de différents facteurs (sexe, âge, type neurologique,…) et ce, même si cette tâche ne les concerne pas actuellement. 

En ce qui concerne la neurodiversité, il s'agit de s'assurer qu'il n'y a pas de risques supplémentaires pour les personnes neurodivergentes (sensibilité au bruit intense, difficultés à comprendre les instructions, problèmes de coordination,...). Il est essentiel, dans ce cadre, d’éviter les stéréotypes et les suppositions sur les risques encourus par un travailleur en fonction de son type neurologique. 

L'analyse inclusive utilise une approche participative qui implique les travailleurs concernés et se fonde sur une évaluation de la situation de travail réelle. Il faut donc examiner les systèmes, les processus, l'environnement et l'équipement de travail du point de vue du travailleur neurotypique et du travailleur neurodivergent: s’ils ne constituent pas un danger pour l’un, ils peuvent être un facteur de risque important pour l’autre.

Mesures de prévention

Lors de la définition de mesures de prévention, tenir compte des points suivants:

  • éviter de faire des suppositions préalables sur les dangers et les personnes à risque
  • valoriser la diversité de la main-d'œuvre comme un atout (et non comme un problème)
  • adapter le travail à l'individu
  • prendre en compte les besoins de la main-d'œuvre neurodivergente dès le stade de la conception 
  • former les responsables hiérarchiques à la neurodiversité et à l'analyse des risques.

 

MesuresExemples

Adaptation / conception de l'environnement de travail ou 

du poste de travail

  • éviter les bureaux paysagers 
  • réduire le bruit ambiant
  • prévoir isolation acoustique et insonorisation
  • minimiser l'encombrement
  • concevoir un design "calme" et cohérent (par exemple éviter les motifs trop chargés sur les murs ou prévoir le même revêtement de sol dans toutes les allées)
  • veiller à clarté de la signalisation 
  • adapter l'éclairage, choisir des systèmes d'éclairage qui permettent d'ajuster la luminosité 
  • fournir des bureaux dont la hauteur peut être modifiée (facilite l’alternance assis/debout et donc le mouvement au long de la journée). 
Mise à disposition d’équipements et de logiciels 
  • casques anti-bruit
  • logiciels de synthèse vocale (réduisent les exigences en matière d'orthographe et d'écriture manuscrite et améliorent la concentration)
  • logiciels de cartographie mentale (facilitent le passage d'une pensée globale à une pensée détaillée)
  • correcteurs orthographiques spécialisés (p.ex. pour les dyslexiques)
  • logiciels de planification ou de gestion de projet (calendriers, listes de tâches, rappels, alertes,...)
Introduction de modalités de travail flexibles
  • prévoir des locaux calmes pour les pauses
  • favoriser le télétravail 
  • décomposer les tâches en séquences plus courtes
  • veiller à la clarté dans les descriptions de poste, les résultats attendus et les délais à respecter 
  • limiter les réunions impliquant un grand nombre de personnes 
Coaching
  • prévoir du temps supplémentaire pour des entretiens avec le superviseur (feedback,...) 
  • veiller à un retour d'information régulier et clair
  • coaching sur le lieu de travail (planification, priorités, organisation,...)
Soutien des collègues
  • travailler en équipe et/ou avec un mentor
  • désigner un collègue qui sert de personne de contact pour le travailleur neurodivergent 
Procédures et instructions de travail
  • veiller à utiliser un langage simple, concis, direct et précis 
  • proposer des instructions verbales/écrites/visuelles spécifiques, des instructions préenregistrées, des listes de tâches 
  • incorporer des vérifications supplémentaires avant le début des tâches à haut risque
  • prévoir un codage couleur pour faciliter l’identification des équipements  
Formation
  • mettre en place une formation initiale supplémentaire 
  • envoyer les supports de formation sous différentes formes (écrites, visuelles, auditives,...) et à l'avance 
  • adapter les méthodes (réalité virtuelle, exemples pratiques, activités concrètes,...) et le rythme de la formation
  • prévoir des cours de recyclage réguliers
Assistance individuelle conseils sur le lieu de travail ou accès à des services de conseil externes


Les mesures neuroinclusives peuvent aussi être utiles aux autres travailleurs: par exemple, l’installation d’un logiciel de correction de texte initialement destiné à faciliter le travail d’une personne dyslexique peut aussi aider ceux qui apprennent la langue du lieu de travail ou ceux qui ont besoin de corriger un texte. 

Source
oshwiki.osha.europa.eu Neurodiversity at work: impact on OSH