On n’est jamais si bien que chez soi... en Europe aussi

2006 a été proclamée par la Commission européenne "Année de la mobilité du travailleur européen". A cette occasion, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail a rédigé un rapport sur la mobilité géographique et professionnelle du travailleur européen.

Mobilité géographique

Chiffres
La plupart des citoyens de l'UE ont déménagé plusieurs fois au cours de leur vie, mais leur déplacement s'est le plus souvent limité à une même ville (32%) ou région (24%); alors que 18% ont quitté leur région, 4% seulement ont un jour vécu dans un autre pays de l’UE et moins de 3% ont vécu dans un pays extérieur à l'UE.

On ne peut donc parler d’émigration massive à l’intérieur de l’UE, même s’il existe en cela des différences entre Etats membres. L’élargissement de l’UE, en 2004, a suscité un débat sur l’opportunité d’instaurer la libre circulation des travailleurs. On craignait en effet que les travailleurs des nouveaux Etats membres n’inondent les marchés de l’emploi des "anciens". Mais cette crainte est-elle fondée? Les Polonais sont-ils en train de nous envahir?

Le pourcentage d’habitants des nouveaux Etats membres ayant l’intention de déménager dans les cinq années à venir est plus élevé qu’à l’intérieur de l’UE-15(2): 5% contre 3%. Pourtant, cela n’annonce en rien un mouvement massif. Il y a également des différences entre les nouveaux Etats membres. Ainsi, 7% des Polonais ont l’intention de s’expatrier dans les prochaines années. Etant donné que le pays compte 40 millions d’habitants, cela peut évidemment représenter, en chiffres absolus, un nombre considérable de travailleurs. Ce groupe d’émigrants potentiels compte de nombreux jeunes (- de 35 ans) qui sont soit diplômés d’une école supérieure, soit encore étudiants. Si tous réalisent leur projet, il pourrait y avoir un phénomène de "brain gain" pour l’UE-15 et de "brain drain" pour les pays d’origine.

Les citoyens de l’UE considèrent la mobilité géographique (déménagements à l’intérieur de l’UE) comme un élément positif pour l’intégration européenne (62%). Ils situent avant tout les conséquences positives de cette mobilité dans le domaine du travail ("marché de l’emploi", "économie") et sur le plan de l’individu. Pour le facteur "famille", en revanche, la mobilité est considérée comme négative. Mais, même si les citoyens UE considèrent la mobilité comme bénéfique à la société européenne, cela ne se traduit pas dans leur comportement individuel.

Raisons
Les principales raisons incitant à des déménagements lointains sont d’une part l’acquisition d’un nouvel emploi, de l’autre, celle d’un meilleur logement. Les facteurs dissuasifs sont les barrières culturelles et linguistiques, les difficultés liées au travail et, surtout, la "perte" sociale, c’est-à-dire la distension des liens avec la famille, les amis et la communauté.

Mobilité de l’emploi
Chiffres
Lorsqu’il s’agit de changer de travail, les chiffres sont plus élevés qu’en ce qui concerne les déménagements. Environ 8% des travailleurs ont changé d’emploi au cours de l’année écoulée; si l’on prend en compte les cinq dernières années, ce chiffre atteint 32%, tandis que 43% pensent qu’ils changeront d’emploi dans les cinq prochaines années.

Raisons
Dans un cas sur trois, le travailleur choisit lui-même de quitter son emploi et de l’échanger contre un autre. Le plupart du temps, la décision ne dépend donc pas de lui: soit elle est le fait de l’employeur, soit elle est motivée par la nécessité d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

Cycles de vie
On ne s’étonnera pas de constater que le citoyen de l'UE lie sa mobilité aux différents cycles de la vie, comme la présence d’enfants en bas âge, le fait d’avoir un partenaire qui travaille, le stade atteint dans la carrière, etc. Les jeunes déménagent plus souvent, tant dans leur pays qu'au-delà des frontières. Cela vaut aussi pour la mobilité de l’emploi: la plupart des jeunes changent souvent d’employeur au début de leur carrière. Ils sont en outre convaincus que changer d’emploi toutes les x années est une bonne chose. Les plus âgés restent plus longtemps dans la même entreprise et sont moins nombreux à avoir l’intention de chercher un nouvel emploi dans les années à venir.

Profil du citoyen européen mobile
Le paramètre qui joue le plus dans cette thématique est l’âge: les jeunes sont plus mobiles que leurs aînés. Les célibataires avec ou sans enfants déménagent plus souvent et changent plus fréquemment d’emploi eux aussi. En ce qui concerne les autres paramètres, comme le sexe ou le degré d’instruction, les différences sont moins marquées.

Pour la mobilité de l’emploi, le paramètre "position sur le marché de l’emploi" intervient également: il s’avère que les groupes les plus vulnérables sont aussi les plus mobiles. Ceux qui se sont retrouvés au chômage à plusieurs reprises, les parents célibataires, les ouvriers et les personnes ayant des contrats à temps partiels changent plus souvent d’emploi que la moyenne. Leurs motivations sont souvent les licenciements, les fins de contrats ou les problèmes de santé.

Différences par pays
On constate des différences nettes entre les Etats membres. De plus, les deux types de mobilité, géographique et professionnelle, semblent liés: dans les pays qui présentent une haute mobilité de l’emploi, les gens déménagent aussi plus régulièrement. Les 25 pays de l’UE peuvent être répartis en quatre groupes:
- Mobilité géographique et professionnelle faible: Malte, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie, Pologne, Slovénie et Autriche;
- Mobilité géographique faible et mobilité professionnelle élevée: Espagne, Chypre, République tchèque, Hongrie;
- Mobilité géographique élevée et mobilité professionnelle moyenne: Allemagne, France, Belgique, Luxembourg et Irlande;
- Mobilité géographique et professionnelle élevée: Danemark, Suède, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Royaume-Uni et Pays-Bas.

En ce qui concerne les UE-15, cette classification présente clairement des points communs avec la typologie des Etats-providence telle qu’établie par Esping-Andersen. La mobilité élevée va de pair avec les Etats-providence sociaux-démocrates et libéraux, la mobilité géographique élevée associée à une mobilité professionnelle moyenne est liée aux systèmes corporatistes, tandis que l’Europe du Sud fait montre d’une mobilité faible. Les 10 nouveaux Etats membres s’intègrent bien dans ce schéma. Il serait donc utile d’aborder le problème sous l’angle du type d’Etat providence, plutôt que de parler de nouveaux et d’anciens Etats membres.

La mobilité, oui, mais jusqu’à quel point?
Les auteurs du rapport affirment que l’UE doit définir clairement le degré de mobilité qu’elle veut atteindre. On part généralement du principe qu’un degré de mobilité élevé est préférable. Mais il y a aussi des conséquences négatives: effritement des communautés, disparition de la cohésion sociale,... L’UE doit aussi redéfinir le contrat psychologique qui lie employeur et travailleur. Les problèmes d’embauche auxquels les employeurs sont confrontés pourraient peut-être y trouver une solution, mais parallèlement, le fait que les travailleurs changent plus facilement et plus rapidement d’employeur risque d’engendrer de nouveaux problèmes.
Selon les auteurs, l’UE devrait viser avant tout, non à maximaliser la mobilité du citoyen UE, mais bien à l'optimaliser, et cela, pour toutes les parties: les travailleurs, les entreprises et la société tout entière.

Europe contre USA
On compare souvent l’Europe avec les Etats-Unis, où les gens déménagent semble-t-il plus facilement. En 2000, 32% des citoyens américains habitaient dans un autre Etat que celui où ils étaient nés. Bien entendu, les distances sont plus grandes aux Etats-Unis que dans les Etats membres, si bien qu'il serait peut-être plus pertinent de faire une comparaison avec le nombre de citoyens européens ayant vécu dans une autre région ou un autre pays. Le baromètre UE indique dans ce cas 22% de la population. La différence avec les citoyens américains reste considérable. Il faut toutefois préciser qu’un déménagement "intra USA" se fait à l’intérieur d’un même pays, d’une même communauté linguistique et d’une même zone culturelle, ce qui n’est pas le cas pour les déplacements au sein de l’UE.

Les Etats-membres de l'UE
En 2004, 10 pays sont devenus membres de l’Union européenne : Chypre, la République tchèque, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie.

Les pays de l'UE-15 sont : la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Suède.

: PreventFocus