La théorie des quatre T
Premier T: tolérer (de l’anglais: Tolerate)
Dans la vie privée
Décider d’accepter un risque donné après une réflexion approfondie n’a rien d’une aberration. Nous le faisons d’ailleurs constamment dans notre vie quotidienne: nous prenons la voiture alors que les transports en commun sont plus sûrs et souvent moins chers; nous continuons à fumer bien que les effets nocifs de la nicotine soient clairement établis et nous jouons au football malgré le nombre record de blessures qu’occasionne ce sport. Nous sommes d’ailleurs plus disposés à accepter des risques dans notre vie privée que dans notre vie professionnelle, probablement parce que nous pensons avoir une plus grande liberté de nous exposer ou non au danger.
Au sein de l’entreprise
Il est fréquent, dans le milieu professionnel, de devoir mettre en balance deux éléments, par ex. la viabilité (économique) d’une entreprise et l’existence de risques professionnels. Celui qui souhaite fabriquer des meubles devra accepter la présence de machines “dangereuses” dans son atelier, comme une scie à ruban ou une fraiseuse (sans doute l’outil le plus dangereux en menuiserie). Traiter des patients atteints de cancer à l’hôpital implique d’être confronté à des rayonnements ionisants. Quant à l’agent de police, il s’expose à des agressions. Certains risques doivent donc être tolérés (le premier des quatre T), mais nous ne le faisons jamais de manière irréfléchie. Cette décision doit être précédée d’une analyse et d’une concertation commune. Ce dernier point est très important: on ne choisit pas seul de tolérer délibérément un risque donné. La question de savoir si quelque chose est acceptable ou non ne doit pas être tranchée par le conseiller en prévention: il incombe à la direction de l’entreprise de prendre ses responsabilités.
L’acceptation d’un risque est en grande partie déterminée par l’environnement professionnel. Ainsi, une fraiseuse peut parfaitement être admise dans un atelier où travaillent des menuisiers formés et expérimentés (en veillant, même dans ce cas, à ce que toutes les protections soient présentes et utilisées), mais elle n’est pas acceptable dans un environnement où les travailleurs n’ont aucune expérience avec les machines d’usinage du bois.
Deuxième T: mettre un terme (de l’anglais: Terminate)
La deuxième piste considère cette fois le risque comme inacceptable: il faut donc y mettre un terme et l’éliminer de l’atelier. Un exemple parmi tant d’autres de cette approche: dans de nombreux garages et ateliers mécaniques, les pièces sales de machines sont encore toujours nettoyées dans un bain contenant des solvants. Ces produits, souvent très inflammables, peuvent attaquer la peau et libérer des vapeurs toxiques ou irritantes. Dans cette situation, il peut être raisonnable de passer à un dégraissant à base d’eau: il faudra un peu plus de temps pour nettoyer ces pièces graisseuses, mais c’est plus sain et meilleur marché.
Bon nombre de nos réglementations en matière de sécurité suivent cette piste: l’amiante a fini par être interdit, les peintures au plomb ont été supprimées, les jouets ne peuvent plus être alimentés qu’en très basse tension de sécurité (TBTS)... et régulièrement, des outils sont retirés du commerce par les autorités parce qu’ils sont considérés comme non sûrs. Mettre un terme à un risque est l’approche la plus radicale, et aussi la plus efficace.
Troisième T: transférer (de l’anglais: Transfer)
Transférer un risque revient à transmettre le risque et ses conséquences à une autre partie. Cela peut être fait de deux manières: en sous-traitant le travail ou en assurant le risque.
- Sous-traiter le travail comportant le risque:
Toute entreprise effectue parfois des activités dangereuses, salissantes ou désagréables. Il peut être tentant de sous-traiter ce type de tâches et donc de transférer les risques à un autre employeur. Cette manière de procéder a tendance à se généraliser depuis quelques décennies. Les entreprises se concentrent de plus en plus sur leurs compétences clés et sous-traitent tout ce qui n’en fait pas partie. Il s’agit souvent de travaux d’entretien (tant la maintenance technique que le nettoyage), d’activités logistiques (stockage en entrepôts et transport), de l’exploitation de la cafétéria… Lorsque des tâches délicates nécessitent des connaissances et une expérience spécifiques, il est même raisonnable de les confier à des firmes spécialisées. Cela ne fait que renforcer la sécurité. On ne peut pas en dire autant lorsque certains se déchargent de telles activités sur des entreprises à la réputation douteuse ou sur des indépendants ayant peu de connaissances en la matière: de telles pratiques vont à l’encontre des règles d’éthique les plus élémentaires.
- Assurer les risques:
Une autre forme de transfert consiste à faire peser les conséquences d’un risque (autrement dit: la charge financière du sinistre) sur une organisation tierce. Ce procédé est appliqué quotidiennement dans notre vie privée: les habitations sont assurées contre l’incendie et une police d’assurance familiale est souscrite au cas où les enfants occasionneraient par maladresse des dommages à autrui. Certaines formes d’assurance sont obligatoires (comme l’assurance auto), tandis que d’autres sont facultatives. Il en va de même dans le milieu professionnel: chaque entreprise est tenue de souscrire une assurance contre les accidents du travail, mais une assurance responsabilité civile n’est pas obligatoire (même si la plupart des employeurs en souscrivent une). Assurer un risque est donc une manière parfaitement acceptable d’en transférer les conséquences, mais cela a évidemment un prix.
Quatrième T: traiter (de l’anglais: Treat)
Cette dernière approche est la plus appliquée dans la pratique. Lorsque nous sommes confrontés à des risques, nous prenons des mesures de prévention pour les éliminer ou au moins les limiter. Nous placerons autant que possible les pièces mobiles des machines derrière une protection.Nous aménagerons une nouvelle ligne de conditionnement de manière aussi ergonomique que possible afin de contrer la fatigue musculaire: nous ferons attention au poids des pièces à manipuler, à la hauteur du plan de travail, à la qualité des sièges… Manipuler de l’argent se fera de préférence derrière du verre résistant aux balles. Toutes ces approches sont sensées, mais il ne faut jamais oublier que traiter un risque n’est qu’une des quatre manières possibles d’aborder le problème.
Source: prevent.be