Evaluer le risque routier en entreprise: pistes d'action
Que ce soit dans le cadre d’une mission ou tout simplement pour se rendre au travail, les employés consacrent une plus ou moins grande partie de leur temps sur la route. La gestion des risques sur la route est dès lors indispensable, en particulier dans les entreprises possédant une flotte automobile importante et où les déplacements professionnels sont incessants.
L’accident sur le chemin du travail est un accident qui survient durant le trajet normal que le travailleur doit parcourir pour se rendre de sa résidence au lieu de l’exécution du travail et inversement (loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, MB du 24 avril 1971, art. 8.1.). Le trajet parcouru par le travailleur entre son lieu de travail et le lieu où il prend son repas, suit des cours en vue de sa formation professionnelle, travaille en exécution d'un contrat de louage de travail avec un employeur ou perçoit en espèces tout ou partie de sa rémunération est assimilé au chemin du travail (2). A noter que la loi du 12 juillet 1991 (MB du 26 septembre 1991) ajoute qu’un trajet reste normal lorsque le travailleur effectue les détours nécessaires et raisonnablement justifiables. |
Les étapes d’une analyse des risques classique
La gestion des risques s’inscrit dans la politique du bien-être et plus spécifiquement dans le système de gestion dynamique des risques. L'employeur est responsable du bien-être de ses travailleurs lors de l'exécution de leur travail, et ce même en dehors des locaux de l’entreprise. Il ne peut donc négliger les risques encourus par son personnel lors des déplacements professionnels.
Afin de réaliser l’analyse des risques liés aux déplacements des travailleurs en mission et de mettre en place un plan d’action adapté à l’entreprise, il importe de suivre les étapes classiques du processus d’analyse des risques (3). Ce processus exige de "préparer le terrain", c’est-à-dire créer les conditions favorables pour faciliter la participation de toutes les personnes concernées: désigner une personne ou un groupe en charge de l’analyse, informer le personnel sur le projet, définir une méthode d’évaluation, etc. Il ne faut pas s’effrayer: même avec une analyse restreinte, il est possible de détecter des éléments intéressants.
La première étape consiste à identifier les risques routiers et les personnes qui sont exposées à ces risques. L’identification du risque routier passe nécessairement, outre la collecte des informations d’accidentalité routière, par un recensement de l’ensemble des salariés en mission (nombre de personnes, fonction, type de véhicule, temps de conduite quotidien, kilométrage moyen annuel, fréquence) et de tous les véhicules utilisés (type de véhicule, véhicule personnel ou de société, kilométrage annuel). Elle comprend également l’analyse de l’organisation des déplacements, de la gestion du parc automobile, des pratiques et besoins de communications et de la gestion des compétences liées à l’utilisation d’un véhicule (voir tableau 1).
Dans les cas où la flotte automobile est gérée par une société externe, la personne (ou le groupe) en charge de l’analyse se concertera de préférence avec celle-ci. Elle lui demandera toutes les données et informations nécessaires à l’évaluation des risques liés à la gestion du parc.
Tableau 1: Identifier le risque routier
Point d’attention | Questions |
Organisation des déplacements | |
Management des déplacements | - Existe-t-il des mesures pour éviter ou réduire les déplacements? - Qu’est-ce qui génère des déplacements? - Sont-ils organisés par l’entreprise ou laissés à l’initiative du salarié? - Y-a-t-il une préparation des déplacements (évaluation des temps de parcours, planification,…)? - Quel est le degré d’autonomie des conducteurs? - Quel est le mode d’indemnisation des déplacements? |
Activité de conduite | - Dans quelles conditions s’effectuent les missions (horaires, temps de conduite,…)? - Dans quelles conditions se font les pauses, l’hébergement, le (dé)chargement du véhicule? - Quelles sont les contraintes professionnelles pouvant influer sur la conduite (conduite de jour ou de nuit, pression,…)? |
Contraintes de temps | - Les retards sont-ils exceptionnels ou chroniques? - Quelles incidences ces retards ont-ils sur l’enchaînement des tâches? - Quelles conséquences ont-ils sur la conduite? - Sont-ils liés à l’organisation du travail, à l’entreprise cliente, à l’organisation personnelle du conducteur? |
Gestion du parc | |
Choix et attribution des véhicules | - Les véhicules sont-ils adaptés aux missions des conducteurs? - Qui les choisit? Les conducteurs sont-ils impliqués? - Les véhicules sont-ils la propriété de l’entreprise, du travailleur ou en location longue durée? - Sont-ils affectés personnellement aux travailleurs? |
Equipements de sécurité | - Les véhicules sont-ils dotés d’un kit de sécurité (extincteur, gilet réfléchissant, triangle de signalisation) ? - Sont-ils pourvus d’équipements tels que ABS, airbags, climatisation, direction assistée, système d’aide à la navigation, limiteur de vitesse,…? |
Etat du parc et son entretien | - Quel est l’état général du parc des véhicules? - Comment et par qui sont-ils entretenus (responsabilités du conducteur ou d’un garage extérieur)? - Quelles sont les procédures de vérification (carnet d’observations ou de suivi)? - Pour les véhicules en location longue durée, y a-t-il un contrat d’entretien prévoyant des contrôles périodiques systématiques? - Y a-t-il une incitation financière à la maintenance des véhicules personnels? |
Transport de charges | - Les véhicules sont-ils adaptés et correctement aménagés pour le transport de charges (calage et arrimage des charges)? - Les charges ne dépassent-elles pas le poids autorisé pour le type de véhicule utilisé? |
Besoins et pratiques de communications | |
Mesures de prévention existantes | - Les travailleurs sont-ils dotés de téléphones portables professionnels? - Quelles sont les règles dans l’entreprise concernant l’usage du téléphone portable (interdiction absolue au volant)? - Le kit mains libres est-il interdit? Si oui, quelles sont les solutions alternatives proposées? - Y a-t-il un protocole de communication? |
Besoins de communication | - Quels sont les besoins de communication du travailleur pendant la mission? - Quels sont les besoins de communication de l’entreprise avec le travailleur en mission? - Qui communique avec le travailleur? |
Pratiques de communication | - Les travailleurs utilisent-ils un téléphone portable pendant leur mission? - Quelles sont les principales raisons de ces appels? - Quelle est la nature des informations échangées? - Quelles sont la fréquence et la durée de ces communications? - Y a-t-il d’autres moyens qui ne seraient pas ou mal utilisés? |
Gestion des compétences | |
Recrutement et formation | - Comment sont recrutés les travailleurs? Sur quels critères (permis de conduire, expériences de la conduite, aptitude médicale)? - Y a-t-il une politique de formation des conducteurs en rapport avec les compétences attendues en matière de conduite? - Quels sont les objectifs et le contenu de ces formations? - Existe-t-il une formation en matière de chargement des charges? |
Etat de santé et hygiène | - Comment le personnel est-il suivi sur le plan médical? - L’aptitude à la conduite est-elle prise en compte dans la fiche médicale? Y a-t-il un contrôle de la vue? - Est-il tenu compte des éventuels problèmes de santé (prise de médicaments, alcool,…) pouvant avoir des conséquences sur la conduite? - Dans quelles conditions d’hygiène le travailleur réalise-t-il ses missions à l’extérieur de l’entreprise? |
Implication du management | - La direction (et/ou les délégués du personnel) est-elle impliquée? |
Après avoir décelé, dans chaque thématique, les facteurs influant sur la probabilité d’apparition d’un accident routier, l’étape suivante consiste à donner un ordre de priorité aux risques (hiérarchisation des risques professionnels) encourus par les travailleurs en mission sur la route. Cette étape doit être discutée au sein du groupe de travail et permettre de définir des priorités d’action et un calendrier de réalisation.
Définir et mettre en œuvre des mesures
Analyser les risques n’est pas une fin en soi. L’objectif ultime de la démarche est de déboucher sur l’établissement de mesures de prévention appropriées pour prévenir ou remédier aux risques constatés. Les actions doivent être sélectionnées selon différents critères: classement des risques, nécessité d’agir rapidement, facilité de mise en œuvre, coût de l’investissement et efficacité attendue. Des actions, même modestes, peuvent servir de points de départ, mais il est indispensable que l’entreprise possède une vision d’ensemble des actions envisagées et qu’elle les planifie dans le temps en respectant au mieux l’ordre de priorité fixé dans la hiérarchie des mesures.
Pistes d’action
Pour passer à l’action, l’entreprise doit impliquer des partenaires au sein de l’entreprise, mettre en place une structure de pilotage du projet incluant la hiérarchie et différents services de l’entreprise et bien sûr, investir des moyens matériels et financiers. L’entreprise peut également s’appuyer sur des spécialistes externes comme des bureaux d’études, des organismes de formation ou des prestataires de services. Les recherches réalisées en France sur les risques routiers en entreprise ont permis de distinguer une série de pistes d’action visant à faciliter la réalisation du plan d’action. Elles sont structurées suivant les quatre grands domaines précédemment évoqués: la gestion des déplacements, du parc, des communications et des compétences (voir tableau 2). Le choix des pistes d’action doit tenir compte autant que possible des réalités techniques, organisationnelles, humaines ou économiques de l’entreprise. S’il s’avère que certaines pistes suivies ne répondent pas aux attentes, il n’est jamais trop tard pour réorienter les actions. En effet, le processus d’analyse des risques est un processus continu à réviser régulièrement.
Tableau 2: Pistes d’action
Pistes d’action | En pratique |
Organisation des déplacements | |
Eviter ou limiter les déplacements | - nouvelles procédures: réaffectation des secteurs géographiques, organisation des tournées,… - solutions techniques: audioconférences, internet, intranet - limitation de la distance et du temps de conduite |
Modes de déplacement | - priorité aux transports en commun + incitants financiers - mode de transport en fonction du type de mission - note d’information sur les dangers liés au réseau routier |
Infrastructures | - accès à l’entreprise: entrées et sorties des véhicules séparées, accès distincts piétons et véhicules, aires de manœuvre suffisantes,… - plan de circulation: plan affiché à l’entrée de l’entreprise, absence de croisement des flux de circulation, voies piétonnes réservées,… - parkings: nombre de places suffisant, éclairage suffisant, revêtement du sol en bon état,… |
Planification des déplacements | - prise en compte de l’état des routes (travaux éventuels) et des conditions météorologiques dans le calcul du temps de déplacement - usage de sites Internet et de serveurs vocaux d’information sur le trafic routier (p.ex. radio) - temps de conduite journalier prédéfini - degré d’autonomie du conducteur dans l’établissement du programme des visites et rendez-vous + avis du responsable - optimiser les déplacements dans le sens d’une réduction des heures de conduite - identifier un itinéraire reconnu et sûr |
Gestion du temps | - respect du code de la route (limitation des contraintes horaires, temps de pause,…) - procédure de gestion en cas de retards ou d’imprévus - prise en compte de la fatigue lors de la conduite de nuit |
Gestion du parc | |
Equipements de sécurité | - ABS, airbag conducteur et passager, climatisation, direction assistée, système d’aide à la navigation, régulateur de vitesse, pneus neige, bandes réfléchissantes, indicateur de gabarit, témoin de surcharge du véhicule,… - matériel de sécurité: extincteur, gilet réfléchissant, triangle de signalisation |
Vitesse | - sensibilisation des salariés - note de service à titre de rappel des limitations de vitesse - régulateur de vitesse |
Entretien | - aide financière pour l’entretien, le contrôle technique, l’aménagement ou l’équipement du véhicule personnel - responsabilité du conducteur (obligation de signaler les usures, pannes, incidents,...) - carnet de bord par véhicule - planification des contrôles périodiques - assimilation du véhicule à l’image de marque de l’entreprise |
Charge utile | - évaluation du chargement à partir du poids maximal autorisé - procédure écrite facilitant le respect des limites de charge - système de pesée - témoin de surcharge |
Choix du véhicule | - rédaction d’un cahier des charges lors de l’achat de nouveaux véhicules - choix du véhicule en fonction du type de mission |
Aménagement du véhicule | - pas de charge dans l’habitacle - séparation de la partie habitacle de la partie chargement (cloison) - soin apporté à l’arrimage et à l’immobilisation des charges - procédures de (dé)chargement + respect des directives du constructeur + formation - appel à un professionnel pour l’aménagement du véhicule en fonction des besoins liés à l’activité |
Besoins et pratiques de communications | |
Usage du téléphone portable | - règlements intérieurs interdisant l’usage du téléphone portable au volant, y compris le kit mains libres - sensibilisation des salariés - obligation des appels hors des temps de conduite - pas d’appels à l’improviste de la part de l’entreprise pendant la mission - diriger les appels des correspondants vers l’entreprise - règles d’usage du portable en déplacement: communication lors des pauses, déviation de tous les appels entrants vers la messagerie,… |
Communication des missions et gestion des imprévus | - contact par SMS et rappel du travailleur quand il est à l’arrêt - appel du travailleur depuis le dernier client (éventuelle modification de son programme de travail) - définition d’un protocole adapté - mise en place de moyens adaptés à tout type de communication en sécurité (géolocalisation, envoi des missions sur des périphériques d’affichages,…) |
Communication et gestion des déplacements | - assistant personnel pour mémoriser les informations en cours de journée (durée d’intervention, pièces nécessaires,…) - après une intervention, le travailleur envoie des données via le réseau (gestion du stock) - analyse des données par l’entreprise en temps réel + mise à jour des plannings + préparation du matériel |
Usage du GPS | - en cas de changement d’itinéraire, reprogrammation du GPS à l’arrêt sur un lieu de stationnement - pendant la conduite, uniquement usage des fonctions audio du GPS |
Gestion des compétences | |
Accueil des nouveaux | - rubrique risque routier dans le livret d’accueil - information ponctuelle sur les actions en matière de sécurité routière - stages de sensibilisation via un organisme spécialisé - formation via un organisme spécialisé incluant les procédures en vigueur dans l’entreprise |
Formation et perfectionnement | - actualisation régulière du document unique + communication en interne - affichage des résultats de sécurité routière + suivi des indicateurs - traitement des informations reçues par les salariés (incidents) - analyse des accidents - cours de secourisme - mise à disposition de matériel interactif (p.ex. cd-rom) - contrôle périodique de connaissance du code de la route - stages de conduite spécifiques pour les salariés les plus exposés au risque routier - formation de formateurs à l’audit de conduite - formations et/ou perfectionnements en vue d’acquérir les compétences complémentaires nécessaires à la conduite d’un nouveau véhicule ou nouvel usage |
Gestion des permis de conduire | - contrôle lors de l’embauche - contrôle périodique de validité du permis - procédure écrite |
Aptitude médicale à la conduite | - examen par le médecin du travail (test de vue) - mise à disposition d’une fiche descriptive du poste de travail |
Enjeu humain et économique
Conduire représente un acte de travail à proprement dit: tous les travailleurs de l'entreprise qui conduisent, que ce soit dans le cadre de leurs activités professionnelles ou du trajet domicile-lieu de travail, sont concernés. Le risque routier est donc avant tout un enjeu humain pour l’entreprise. D’autre part, il ne faut pas négliger les répercussions des accidents de la route en terme de coûts matériels (perte de matériel, remplacement du véhicule,…) et d’image (image de marque ternie, perte de clientèle). Les risques routiers font donc part intégrante de l’analyse des risques dans l’entreprise.
(1) D’une part, l’Institut national de Recherche et de Sécurité (INRS) a élaboré un guide d’évaluation des risques intitulé "Le risque routier en mission" (ED 986) et d’autre part, le CRAM Alsace-Lorraine a développé, en collaboration avec le Centre technique de l’artisanat (CTAI) et la Préfecture du Haut-Rhin, un outil internet, le plan d’évaluation et d’actions du risque routier professionnel (PEDRO).
http://www.inrs.fr
http://pedro.artifrance.fr/
(2) Le concept de "chemin du travail" recouvre également d’autres types de trajets que le trajet normal vers la résidence. Ils sont énumérés de manière détaillée à l’article 8 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail (MB du 24 avril 1971).
(3) Voir notre dossier "Législation en pratique n°7, Gestion des risques", Prevent, pp. 11-15. Pour plus d’information sur le dossier législatif, tapez "évaluation du risque" dans le moteur de recherche de notre site http://www.prevent.be.