Comment les travailleurs évaluent-ils les risques? Une enquête dans le secteur chimique

Une équipe de scientifiques belges a choisi d’analyser le comportement des travailleurs du secteur chimique à l’égard des risques de nature chimique qu’ils encourent. Pour mener à bien leur enquête qualitative, les chercheurs ont réuni plusieurs groupes de discussion et ont demandé aux participants comment ils jaugeaient les risques et quelle était leur démarche face à ces mêmes risques. Les résultats obtenus permettent de tirer quelques conclusions intéressantes susceptibles de peaufiner un peu plus encore la politique de prévention.

Groupes de discussion
Pour les besoins de leur enquête, les scientifiques ont opté pour une méthodologie simple: réunir les travailleurs en petits groupes de discussion. Au total, sept groupes composés de 5 à 10 travailleurs ont pris part à l’expérience. La composition des différents groupes était homogène (genre, groupe linguistique, entreprise, niveau de hiérarchie, etc.). Afin d’obtenir une discussion de groupe ouverte et franche, les chercheurs ont choisi d’exclure les conseillers en prévention, les médecins du travail ou encore les représentants syndicaux. Toutes les entreprises concernées sont actives dans le secteur de la chimie et comptent entre 120 et 650 employés.

Etalées sur environ une heure et demie, les discussions abordaient différents sujets liés à l’attitude des travailleurs face aux risques qu’ils encourent, aux mesures qu’ils adoptent et à leurs sources d’information (voir encadré).  


Encadré - Sujets abordés en discussion de groupe

Interprétation des dangers et des risques liés aux substances chimiques
- Comment définiriez-vous une substance chimique?
- Qu’entendez-vous par "danger"?
- Quels sont les aspects du danger que vous considérez comme importants en termes de santé?
- Quels sont les signes susceptibles de traduire un problème de santé consécutif à une exposition à une substance chimique?
- Qu’entendez-vous par "risque"?

Contrôle
- Comment vous protégez-vous face aux risques de nature chimique?
(équipements de protection individuelle et collective, quand faut-il les porter et sur quelles informations se baser)
- Que fait votre employeur pour vous protéger face aux risques de nature chimique?
(équipements de protection individuelle et collective, information et formation, culture de prévention)

Participation des travailleurs à la collecte d’informations destinées à la politique de prévention
- Quels sont les avantages éventuels?
- Quels sont les problèmes éventuels?
- Du point de vue des travailleurs, quelles conditions préalables essentielles doivent être remplies?

 

Résultats
Les résultats montrent que les travailleurs se laissent bien souvent guider par leur propre interprétation du "danger" et du "risque". Des facteurs tels que les odeurs, les réactions des collègues, etc. jouent un rôle essentiel dans ce processus. Les travailleurs admettent avoir bien souvent l’impression de ne pas être suffisamment informés sur le plan toxicologique, notamment des effets chroniques sur la santé. Ils se disent également plus enclins à poser ce genre de questions à leurs collègues qu’au conseiller en prévention. Par ailleurs, les travailleurs consultent peu les sources d’information "officielles" telles que les fiches de données de sécurité (Safety Data Sheets), jugées trop compliquées et peu faciles à utiliser. Dans la pratique, ils semblent également quelque peu résignés face aux risques: ils estiment qu’il n’est tout simplement pas viable de se faire constamment du souci.

Certains participants se déclarent même prêts à courir des risques si cela leur permet d’éviter des problèmes ou de ne pas se plier à des mesures supplémentaires qu’ils jugent contraignantes.
Les travailleurs accordent également peu de confiance à la hiérarchie lorsqu’il s’agit de répondre à des problèmes de sécurité et de santé. Trop de temps s’écoule avant que les choses ne changent et le management ne montre pas toujours le bon exemple. La confiance qu’ils accordent au conseiller en prévention et au médecin du travail semble également limitée. Ce constat s’explique par le double rôle que ces personnes jouent au sein de l’entreprise et par leur lien avec le management.

Bien que les travailleurs affirment ne disposer que de peu d’informations, les discussions montrent qu’ils ont une bonne vue d’ensemble des problèmes liés à l’environnement professionnel et qu’ils sont en mesure d’imaginer des solutions concrètes. Les propositions de ce type ne sont cependant que rarement discutées et/ou entendues car les travailleurs ont le sentiment que l’équipe de management privilégie davantage l’approche descendante.

Améliorer la prévention
Sur le plan de la prévention, différentes conclusions bien précises peuvent être tirées de cette enquête. Pour commencer, il est encore et toujours vital de prodiguer en permanence des informations adaptées au terrain. Ensuite, il est essentiel d’associer les travailleurs à la recherche de solutions et de leur laisser la possibilité de faire entendre leur voix à ce sujet. Enfin, il semble tout aussi essentiel de favoriser la politique de prévention en accordant la priorité aux questions de santé et de sécurité, mais aussi en montrant l’exemple.

Source : Hambach, R., Mairiaux, P., François, G., Braeckman, L., Balsat, A.,Van Hal, G., Vandoorne, C., Van Royen, P., van Sprundel, M., Workers’ Perception of Chemical Risks: A Focus Group Study, Risk Analysis, Vol. 31, No. 2, 2011, pp. 335-342, réf. PreventDoc 54815.

: PreventActua 08/2011